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#50 Balada Triste

  • Photo du rédacteur: E u S d C
    E u S d C
  • 19 nov. 2019
  • 8 min de lecture


Parlons de mon réalisateur européen préféré (Christopher Nolan est anglais mais bon comme il travaille plus aux Etats-Unis je le compte à part. Il est mon réalisateur préféré avec Michael Mann. Y’en a d’autres mais là n’est pas le sujet sinon on va vite s’éloigner).


Álex de la Iglesia (Alejandro de la Iglesia Mendoza, de son ptit nom) est pour moi le meileur réalisateur que nous ayons en exercice dans le Vieux Continent. Fort de quatorze films (dont 2 encore inédit en France, Mi Gran Noche et Perfectos Desconocidos, une autre adaptation du film italien de 2016 Perfetti Sconosciuti, également adapté pour les franchouillard en 2018. Je vous laisse deviner quel remake je préfère), un téléfilm (le génial La Habitación Del Niño) et un documentaire (Messi, sur la star du football. Documentaire que je ne regarderai jamais car je déteste le foot).


Pour faire simple, De La Iglesia n’a jamais réalisé un film qui m’a déçu. Chacun de ses films est quasiment un chef-d’œuvre (exceptions faites de Perdita Durango, Crimes À Oxford et La Chispa De La Vida, ses trois plus faibles films. Pas mauvais, faibles) mais si il en est un qui synthétise le plus la rage dualiste qui anime le réalisateur, c’est bien celui que je vous propose de découvrir.


Balada Triste (Devenu Balada Triste De Trompeta lors de sa sortie vidéo) est sorti en 2010 (juin 2011 en France, les distributeurs français n’ont aucun respect pour De La Iglesia) et mit tout le monde d’accord sur le Diable Ibérique. Succès critique et public, ce film parle des cicatrices du passé de l’Espagne, mais des cicatrices qui saignent encore. D’un postulat de départ simple, le réalisateur (également scénariste) développe un conte amer sur les blessures de l’Espagne infligées par le Franquisme.


Le film s’ouvre en 1937 sur la troupe d’un petit cirque de campagne en pleine représentation lorsque débarquent des républicains pour recruter des « volontaires » afin de lutter contre les nationalistes (ou franquistes si vous préférez). Vient ensuite un des plus beaux génériques de film que j’ai jamais vu (il faudrait une critique rien que pour lui). Une succession d’image majoritairement issue de la culture ibérique sur une musique hallucinante de Roque Baños (ce thème me file des frissons à chaque fois). Le générique prend fin et nous retrouvons le clown Auguste (savoureux Santiago Segura, comme dans tous ses films), se demandant ce qu’il fout là, qui écoute les ordres du recruteur (la scène est à mourir de rire) avant que nous passions au début d’une bataille où notre clown se retrouve à massacrer des nationalistes à coups de machette.


Ellipse temporelle. Nous nous retrouvons en 1973, deux ans avant la fin du franquisme. Année importante pour De La Iglesia, qui explique qu’il a décidé d’ancrer le récit « l’année de mes huit ans. J’en ai un souvenir entre rêve et cauchemar. C’est peut-être l’année où rêve et réalité se sont le plus rapprochés". C’est également cette année que survient la mort Carrero Blanco, collaborateur et premier ministre de Franco, lors d’un attentat et la fin de la cavale d’El Lute, un prisonnier espagnol célèbre pour ses nombreuses évasions. Ces deux figures sont invoquées dans le film. Ce qui fini d’ancrer le récit de plein pied dans l’Histoire.


1973 donc. Nous retrouvons le clown Auguste du début qui est condamné aux travaux forcés. Son fils, Javier lui rend visite, et le clown demande à ce dernier de le venger. C’est un des points de film qui finira de faire basculer plus tard dans le métrage Javier dans la folie.


Javier arrive donc en ville (et tout le monde change de trottoir…. Ok je sors…) et cherche à suivre la voix de son père, devenir clown. Il se fait donc recruter dans un petit cirque par Sergio, le clown Auguste de la troupe, figure forte et violente. Ce dernier ne voit pas en Javier le potentiel pour être un clown Auguste (et la place est déjà prise), il sera donc le clown Triste (Clown Blanc chez nous), grande victime des pitreries de l’Auguste. Dès le début une tension est palpable entre les deux. Javier est prêt à toutes les humiliations pour réussir et tenter de retrouver les fragments de son enfance brisée. Sergio est ravi de trouver une tête de turc pour assouvir ses besoins de domination sauvage et violente. Puis il y a Natalia, magnifique trapéziste, compagne de Sergio dans une relation dominant-dominée flagrante aux effluves de syndrome de Stockholm camouflé et imprégnée de perversité narcissique. Problème, Javier tombe amoureux de Natalia (et je peux parfaitement le comprendre) et celle-ci en joue. En effet Natalia étant la marionnette impuissante de Sergio, elle trouve en Javier une personne encore plus faible qu’elle et décide d’en jouer. Plus que par perversité, elle joue avec les sentiments de Javier car c’est le seul moyen pour elle d’exister, Sergio détruisant son existence et son essence par sa suprématie machiste. Et même si elle se joue de Javier, on sent néanmoins que Natalia éprouve des sentiments pour Javier car il arrive à lui apporter quelques moments de pur bonheur (jeux de regards géniaux sur lesquels je reviendrai lorsque nous parlerons du casting).


Pour résumer ce triangle amoureux nous avons donc Sergio, un adulte colérique au comportement d’un adolescent violent qui ne supporte pas l’affront et aux frontières du pervers narcissique, Javier, un adulte qui tente de vivre une enfance volée puis détruite par la guerre frôlant la frontière de la folie, et Natalia, magnifique femme qui le sait et dont le cœur balance entre la peur provoquée par Sergio et la tendresse animée par Javier.


La première moitié du film se termine sur le moment où Sergio va trop loin et Javier cède complètement à la folie. À partir de là je serai plus vague encore sur le déroulement du film car les meilleurs surprises sont celles que l’on n’attend pas. Je dirais juste que la deuxième partie du film est un concentré de folie et de violence dont seul De La Iglesia a le secret. Et à l’issue de cette deuxième partie il nous offre son final le plus désespérément sombre et pessimiste. À l’image de l’Histoire de la Guerre d’Espagne. Je pourrais appuyer mon propos et approfondir mon analyse mais il me faudrait spoiler tout le film et je ne le veux pas.


Passons donc à l’aspect technique du film. De La Iglesia , ayant fait un petit détour par la case cursus philo à l’université, débute sa carrière comme dessinateur de bande dessinée pendant environ une décennie, puis comme directeur artistique à la télé et au ciné avant de se faire remarquer, grâce à ses court-métrages, par Pedro Almodovar lui-même qui produira son premier long-métrage, Action Mutante, qui porte déjà en lui toutes les graines du cinéma de La Iglesia. Et à chacun de ses films il améliore, affine sa technique, sa maîtrise du champ, du rythme, du montage. Ses films sont tous des moments de folies capturés par son œil et son esprit. Il n’y a quasiment aucun des personnages de sa filmographie qui ne soit pas imprégné de cette folie. Cette folie qui transpire à l’image, dans le montage, le cadrage, les mouvements de caméra, le casting, la musique, l’histoire. Partout, par tous les pores.


Balada Triste n’échappe pas à la règle et il y a au moins un plan par scène qui me file des frissons. Qui électrise ma colonne vertébrale tant le génie du Diable Ibérique est une évidence inébranlable. Qui dit plusieurs époques dit différents styles de photographie. Le passé est filmé comme une vieille photographie, certes ça fait cliché mais la maîtrise du réalisateur qui sait transmettre sa vision au directeur de la photo fait des étincelles. Le présent du film est baigné dans cette espèce de lumière bleue et froide. Aucune réelle chaleur ne se dégage lors du film sauf lors des scènes intimistes avec Natalia. Niveau caméra, bien évidemment il y a beaucoup de caméra à l’épaule lors des scènes impliquant la violence, mais là où De La Iglesia est le meilleur dans la l’intelligence de ses choix en ce qui concerne les mouvements de caméra. Chaque mouvement épouse chaque aspect du film pour offrir le meilleur angle au spectateur pour appréhender, comprendre et apprécier le film. Le montage tantôt nerveux tantôt doux et posé et une merveille d’équilibre et de maîtrise qui culminera dans un final que n’aurait pas renié Hitchcock. La musique de Roque Baños se fait à la fois douce et brute, calme et violente et épouse parfaitement les images. Une des plus belles pièces du compositeur ibérique.


Passons maintenant au casting. De La Iglesia tourne de manière générale avec sa petite troupe d’habitués. Ici il prend quasiment du sang neuf pour renouveler les têtes que l’on croise dans ses films. Tout d’abord, commençons par Javier interprété par Carlos Areces, principalement auteur de bande-dessinées puis acteur (il est tellement génial dans « Los Lobos de Arga »), et qui donne au personnage cette bonhomie sympathique entre enfant et adulte qui perd le spectateur dès qu’il sombre dans la Folie (j’insiste sur le F). Ensuite, passons à Sergio, interprété par Antonio de la Torre, grand nom du cinéma Espagnol et quelques brèves apparitions chez De La Iglesia. Il apporte à Sergio son visage buriné, qui donne l’impression d’avoir essuyé tout les conflits de la Terre. Un visage qui sait se montrer à de rares occasions doux. Mais cela ne durera pas. Passons maintenant à l’Étoile du film, la révélation. Carolina Bang (Carolina Herrera Bang pour les puristes. Née 3 jours avant moi, mini ola pour moi) qui interprète Natalia. Habitué du théâtre et de la télé, l’actrice au prénom explosif trouve ici un premier rôle à sa mesure. Celle de la trapéziste désespérément perdue entre deux hommes prêt à s’entre-tuer pour obtenir ses faveurs. Je parlais de jeux de regard plus haut, et Carolina Bang arrive à faire passer une quantité incroyable d’émotions dans son regard, de la tristesse à l’amour en passant par la tendresse et la colère. Jeux de regards nuancés par un sourire tantôt chaleureux tantôt carnassier (sans rire elle ferait une parfaite version féminine du Joker. Regardez Les Sorcières de Zugarramurdi pour vous en convaincre). Elle donne corps à la trapéziste avec une conviction rare pour un premier grand rôle (le passage par la case théâtre a dû grandement aider) et symbolise cette Espagne déchirée par le conflit entre républicains (Javier) et franquistes (Sergio). La vraie découverte du film, qui deviendra plus tard la femme du réalisateur (après le tournage de Las Brujas de Zugarramurdi). Comme d’habitude, Santiago Segura vient jouer un rôle chez son ami (c’est un habitué chez De La Iglesia depuis Action Mutante) et offre sa gouaille unique pour le rôle du père de Javier. De brèves apparitions mais mémorables grâce au talent de l’interprète et créateur de Torrente (personnage et série de films ayant un énorme succès en Espagne. Je recommande bien évidemment).


Il est temps de conclure cette longue chronique. En plus d’un conte moderne sur la Guerre d’Espagne et ses conséquences qui ont déchirées le pays que De La Iglesia a nourri avec les deux personnalités en dualité dans son esprit (« Tout d'abord celle d'un féroce petit garçon qui le persécute et dont la seule solution est de le laisser "sortir pour qu’il puisse s’éclater, rire à s’en tordre les boyaux et tout vomir sur le celluloïde." La seconde est une femme âgée qui "voudrait pouvoir aimer follement mais elle sait que ce n’est plus possible. (...) elle désire sincèrement rendre les gens heureux autour d’elle." La confrontation de ces deux identités représente un condensé de ma vie, un spectacle confus et absurde, grotesque et décevant mais qui, étrangement, en devient attendrissant par tant d’inepties. »), le réalisateur s’offre un exorcisme, une catharsis comme il nous l’explique : "Je me sens ridicule, un estropié de la vie à cause d’un passé merveilleux et triste, étouffé par la nostalgie de quelque chose qui n’a pas eu lieu, un cauchemar effrayant qui m’empêche d’être heureux. Je veux annihiler cette haine et cette douleur avec un conte grotesque qui fasse rire et pleurer à la fois."


Autant vous dire qu’il y arrive avec brio lors de ce film qui vous hantera un petit moment alors que commence à défiler le générique de fin. Petit plus pour briller en société. Le film tient son nom d’une chanson de Raphael (en gros c’est le Michel Sardou Ibérique) qui jouera un des rôles principaux dans Mi Gran Noche, autre chef-d’œuvre du Diable Ibérique. Hélas encore inédit en France. Film que je recommande, cela va de soit, mais pensez à bien respirer pendant le film car le rythme est dingue !!!

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